Une Boucle d’Apaisement de Trolls pour Réconcilier un Échange Difficile

“Toutes les familles heureuses se ressemblent, mais chaque famille malheureuse l’est à sa façon” (Léon Tolstoï, Anna Karénine, 1878).

Nous partons du principe que l’un des principaux attributs des familles heureuses, et des personnes efficaces en général, est leur capacité à mener à bien les conversations difficiles. Ces conversations se ressemblent toutes – elles se terminent par une discussion calme sur ce qu’il faut faire ensuite.

En revanche, si une conversation difficile ne peut être résolue, les résultats sont variés et souvent désastreux. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les journaux !

Alors comment font les familles heureuses et les personnes efficaces ?

Elles bouclent leurs échanges difficiles … en utilisant une boucle.

Plutôt que d’analyser indépendamment un problème pour trouver puis préconiser des solutions, les protagonistes échangent leurs points de vue de manière répétée jusqu’à ce que la compréhension mutuelle soit suffisante pour permettre une discussion sereine.

Ils ont appris à trouver des solutions ensemble et n’ont pas peur d’essayer.

Conversations difficiles, ponts et trolls

Dans l’article précédent nous avons comparé une Conversation Difficile à un pont de trolls où le troll représente l’aspect hautement chargé et émotionnel de la conversation – l’échange difficile. Une fois cet aspect réconcilié et le calme rétabli, la conversation peut se poursuivre de manière normale [1]. Elle peut encore être difficile et nécessiter de bonnes compétences en matière de négociation, par exemple, mais elle n’est plus difficile dans le sens où les émotions sont dominantes [2].

Notre première suggestion concernant les conversations difficiles est donc de se concentrer sur le troll. Avoir confiance qu’une fois l’échange difficile résolu et le troll apprivoisé, vous et votre interlocuteur pourrez trouver une solution ensemble.

Cela soulève la question suivante : comment puis-je concilier un échange difficile ?

Nous espérons que vous trouverez la technique de bouclage décrite ici – le “Troll-Taming Loop” – si évidente qu’après avoir lu l’article, vous vous demanderez pourquoi elle était nécessaire.

Je peux entrer dans la boucle à presque n’importe quel endroit, faire plusieurs fois le tour et en sortir de l’une des deux manières suivantes, comme l’illustre le diagramme principal et le décrit ci-dessous.

Examinons la boucle, en gardant à l’esprit que les étapes clés seront détaillées dans nos prochains articles …

Pause

On aurait pu penser que la pause serait naturelle pour quiconque rencontre un troll. Cependant, la plupart d’entre nous se jettent directement dans les échanges difficiles, en se fiant à l’habitude et à l’instinct pour s’en sortir.

Cependant, une grande partie de ce que l’on a appris au fil des ans sur la gestion des échanges difficiles est contre-intuitive, et on ne peut donc pas se fier à l’habitude et à l’instinct. C’est pourquoi l’étape Pause est si importante. Il est nécessaire pour maîtriser ses émotions, pour rassembler ses pensées et pour décider consciemment de ce qu’il faut faire. En particulier, nous vous recommandons vivement de penser à deux choses…

1. Quelle est la difficulté exactement ?
2. En abordant cette difficulté, quelle est mon intention fondamentale ?

La difficulté peut sembler évidente (basée sur l’instinct), mais parfois l’évidence est trompeuse.

Par exemple, au lieu de tacler un membre de l’équipe sur son retard à une réunion (“Chris, cette réunion a commencé à 10 heures et il est maintenant 10h15, …”), je pourrais me rendre compte que le vrai problème est qu’il est invariablement en retard et que je crains qu’il n’ait aucun respect pour moi et ses collègues. Ce dernier problème est plus difficile et je peux facilement l’éviter (probablement inconsciemment) si je ne réfléchis pas. Traiter rapidement de telles difficultés permet d’éviter l’accumulation de problèmes qui polluent les relations, tant au travail qu’à la maison.

Malheureusement, j’évite souvent les problèmes les plus difficiles, préférant m’attaquer à ceux qui sont un peu plus faciles. C’est compréhensible, surtout si je ne dispose pas des bonnes techniques.

Après avoir identifié la véritable difficulté à traiter, je dois ajuster mon intention envers l’autre partie. En faisant cela, je me mets en position de faire face à l’inattendu et de me remettre de toute erreur commise lors de la communication. Si je néglige de le faire, ma communication, même si elle est techniquement correcte, a peu de chances d’aboutir au résultat que j’espère.

Dans ce contexte, je ne dois pas confondre mon intention concernant l’échange difficile avec les objectifs que je pourrais avoir pour la conversation dans son ensemble. Mon intention doit être simple – après tout, l’étape de la pause ne dure que quelques secondes. Je n’ai pas le temps de penser à quelque chose de compliqué. Quelque chose comme “rassurer”, “comprendre” ou “clarifier” serait très bien, par exemple. En revanche, mon objectif pour la conversation (si jamais j’arrive jusque-là) pourrait être quelque chose de beaucoup plus élaboré, comme “se mettre d’accord sur la personne chargée d’organiser la réunion d’examen technique avec Dupont&Fils”.

De nombreuses autres actions silencieuses peuvent être imaginées pour l’étape Pause. Prendre quelques secondes pour se calmer ou, du moins, pour empêcher les émotions de prendre le dessus sur la raison est clairement important. Beaucoup a été écrit sur ce sujet. Cependant, nous mettons particulièrement l’accent sur les questions d’identification de la difficulté réelle et d’ajustement des intentions, car nos travaux ont montré que leur négligence conduit à des résultats très décevants. Si nous ne connaissons pas le port vers lequel nous naviguons, alors aucun vent n’est favorable !

Say

L’étape suivante consiste à dire (Say) comment nous voyons la situation, comment nous nous sentons et ce dont nous avons besoin.

Nos conseils s’inspirent ici des principes de la Communication Non-Violente (NVC – Marshall Rosenberg) sur les Observations, les Sentiments et les Besoins. En résumé (nous y reviendrons dans de futurs articles), la clé d’une expression efficace de ces trois éléments est la précision : décrire la situation exacte, mes sentiments réels et mes besoins authentiques.

En même temps, l’honnêteté brutale peut être dangereuse, car l’autre partie peut avoir des sensibilités dont nous ne sommes pas conscients. J’essaie d’apprivoiser le troll, pas de le battre à mort. Il ne s’agit pas d’avoir raison, mais de trouver les mots qui nous permettent d’établir ou de rétablir une relation de confiance et donc de communiquer efficacement. Je m’efforce donc d’éviter de déclencher des réactions telles que la défensive, la résistance, l’argumentation ou le retrait. Ainsi, si la justesse reste essentielle, je dois à la fois anticiper et surveiller l’effet de nos mots sur l’autre, en alliant l’honnêteté à l’empathie et à la bienveillance (cf. Levine, Roberts and Cohenb on Navigating the Tension between Honesty and Benevolence).

Invite et Listen (inviter et écouter)

Après avoir dit ce que nous voyons, ce que nous ressentons et ce dont nous avons besoin, l’étape suivante consiste à simplement inviter l’autre partie à donner son point de vue. Cela peut se faire en quelques mots ou simplement par un regard. Tout ce qui compte, c’est que l’autre personne comprenne notre invitation.

Ensuite, j’écoute attentivement la façon dont l’autre partie voit les choses, en essayant de comprendre également ce qu’elle ressent à leur sujet et ce dont elle a fondamentalement besoin. [3].

Dans certains cas, en particulier lorsque l’autre personne est en colère ou irritée, presque tous mes efforts d’apprivoisement se concentrent sur l’étape Listen, au détriment de l’étape Say ! Autrement dit, face à une personne dans cet état, l’écoute attentive est à peu près la seule chose que je puisse faire. Presque tout ce que je dis ne fera qu’empirer les choses.

Boucler à nouveau ou sortir

Après une écoute active, j’ai trois possibilités : poursuivre l’échange difficile, revenir à une conversation “normale” ou abandonner.

Cette dernière possibilité est nécessaire car il n’est pas toujours possible de résoudre une difficulté en un seul échange, et parfois je peux conclure que je ne peux pas réussir, du moins pas dans les circonstances actuelles ou dans le temps disponible.

Il existe de nombreuses raisons pour lesquelles cela peut se produire. Peut-être le temps est-il vraiment compté ? La sécurité est peut-être en jeu et il vaut mieux prendre une décision exécutive plutôt que d’attendre un consensus ? Ou peut-être qu’après avoir essayé d’utiliser le “Troll-Taming Loop (TTL)” pour m’aligner sur l’autre partie, je décide qu’elle ne souhaite pas jouer gagnant-gagnant et que je dois me protéger – me battre ou fuir… [4].

Reconnaître la possibilité de l’échec a une réelle valeur. D’une part, cela réduit le stress inhérent au fait de s’attaquer à un échange difficile, puisque je ne me sens plus obligé de ” résoudre ” la difficulté (et certainement pas en une seule tentative).

Il s’ensuit que l’apprivoisement du troll peut nécessiter plusieurs tentatives.

Supposons que je vienne de fournir une application logicielle à un autre groupe de mon entreprise et que quelqu’un m’envoie un courriel rempli de plaintes à son sujet. Je suis furieux. Je trouve que les commentaires sont malavisés et injustes. Je réponds aussi poliment que possible, en suivant les principes énoncés dans le TTL, mais l’échange d’e-mails ne se passe pas bien. Finalement, nous convenons d’un appel vidéo.

Pendant cet appel, je suis le TTL du mieux que je peux encore une fois, mais les deux parties restent convaincues que l’autre est déraisonnable. C’est un sujet important pour nous deux – ma fierté est en jeu, sans parler du résultat de ma prochaine évaluation annuelle, et le logiciel est essentiel à la productivité de l’autre groupe. L’appel se termine dans une impasse. Les deux parties décident de s’éloigner et de réfléchir à ce qui peut être fait ensuite.

Après m’être inquiété toute la nuit, je m’arrange pour rendre visite à l’autre groupe (dont le bureau est à quelques heures de route). Ce geste semble être utile en soi et, cette fois, chacun de nous exprime mieux son point de vue, ses sentiments sur la situation et ses besoins/intérêts. L’atmosphère se détend et nous sommes en mesure de discuter de solutions alternatives sans défensive ni agressivité. Cet échange, qui semblait très difficile au départ, se réconcilie et nous retrouvons une conversation normale et professionnelle.

Cet exemple illustre le fait qu’une conversation difficile peut prendre du temps à se résoudre, qu’elle peut contenir plusieurs échanges difficiles et qu’ils ne seront pas tous réconciliés.

La pratique délibérée pour aller plus loin

Bien sûr, je dois m’entraîner pour améliorer mon aptitude à gérer les échanges difficiles, et je dois le faire délibérément. Je ne deviendrai pas un grand orateur en parlant beaucoup, pas plus que je ne deviendrai un grand être humain en inspirant et en expirant simplement ! La clé, c’est la pratique délibérée – répéter consciemment des étapes simples pour les transformer en un répertoire sophistiqué.

C’est ainsi qu’Usain Bolt est devenu un grand athlète sur piste et Mark Knopfler un brillant guitariste.

Des idées pour vous aider dans votre pratique délibérée des Conversations Difficiles sont décrites dans d’autres articles de cette série, pour répondre à des questions telles que :

• Comment dois-je ajuster mes intentions lorsque j’aborde un échange difficile ?
• Comment puis-je utiliser des observations factuelles pour mettre sur la bonne voie un échange difficile ?
• Est-ce une bonne idée d’exprimer mes sentiments et, si je le fais, comment le faire au mieux ?
• Comment puis-je transmettre avec précision ce dont j’ai fondamentalement besoin ?
• Comment fermer la boucle, en invitant et en écoutant ?

Cette série est elle-même née d’un travail visant à créer des cours de formation courts et à distance. Le besoin de concision a conduit à un certain nombre d’innovations dont les plus importantes sont, selon nous, les suivantes :

1. Se concentrer sur l’échange difficile de la conversation
2. Les choses clés à faire lors d’une pause pour faire le point
3. Une façon particulièrement simple d’utiliser la communication non violente dans ce contexte.

Le “Troll-Taming Loop” rassemble tout ce qui précède, et nous espérons que vous aurez plaisir à l’essayer !

Andrew Betts et ses collègues

Dernière mise à jour: le 7 août 2022

[1] Dans ce contexte, une conversation peut s’étendre sur plusieurs sessions et utiliser différents styles – face à face, vidéoconférence et courrier électronique, par exemple. La résolution d’une conversation difficile peut se faire en quelques minutes ou prendre des heures, des jours ou des mois.

[2] Cet article ne porte pas seulement sur la façon de traiter les trolls, mais aussi sur la façon d’enseigner rapidement et à distance les techniques d’apprivoisement des trolls. Le flux que nous allons décrire est issu d’un programme de formation expérimental sur la conduite de conversations difficiles dans une multinationale de haute technologie. Pour tenir compte des horaires chargés des participants, le cours devait enseigner un nouveau processus à distance, en un temps record. Ces contraintes nous ont amenés à simplifier considérablement la théorie admise et les méthodes utilisées pour l’enseigner.

[3] Certains de nos conseils sont tirées de la CNV. Cependant, les personnes familières avec la CNV auront peut-être remarqué que je n’ai fait référence qu’aux aspects Observations, Sentiments et Besoins de la discipline, mais pas aux “Demandes”. Cela s’explique par le fait que notre focalisation sur la partie Échange Difficile de la conversation nous permet de simplifier considérablement cet aspect de la CNV qui, dans notre flux, est devenu l’étape “Inviter”, encourager l’autre partie à exprimer son point de vue.

[4] Dans un cadre professionnel, “se battre” peut signifier faire remonter un problème à une autorité supérieure, par exemple, et “fuir” peut signifier éviter l’autre partie à partir de maintenant, ou même démissionner d’un poste.

 

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D'autres articles dans cette série

English articles : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 , summary (Google sheet)

Traductions en français : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 , sommaire (Google sheet)

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Comme vous l'avez peut-être remarqué, ...

... les sujets de cette série sur les Conversations Difficiles sont organisés de manière hiérarchique :

• Article 1 : Au niveau le plus élevé, une conversation difficile peut être imaginée comme un pont avec un troll bloquant le passage, où le troll représente l'échange difficile qui doit être résolu avant qu'une conversation normale puisse reprendre. Notre défi consiste à apprivoiser le troll.
• Article 2 : Au niveau suivant, nous décomposons notre méthode d'apprivoisement des trolls en une boucle de quatre étapes : faire une pause, dire, inviter et écouter/décider. Nous faisons le tour de cette boucle (le "Troll-Taming Loop") jusqu'à ce que nous ayons réconcilié l'échange difficile et que nous soyons revenus à une conversation normale (dialogue).
• Articles 3-7 : Enfin, chacune des quatre étapes comporte ses propres détails internes et le raffinement de ces détails nous amène encore plus loin, comme pour tout sujet substantiel.

Nous vous invitons à utiliser les outils et les modèles décrits dans ces articles pour guider votre pratique et nous espérons que vous trouverez cette description hiérarchique utile.

Le Carnet de Notes pour des Conversations Difficiles (gratuit)

Ce carnet (en anglais) offre un aperçu rapide de cette série et un point de départ pour votre propre carnet, comme support pour la pratique des compétences de Conversations Difficiles.

Le carnet peut être téléchargé en plusieurs formats, y compris Excel.

Bonne lecture !

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